Gros bonnets et godillots...

Respecter la montagne, c’est se soumettre à ses limites.
On peut être heureux en atteignant des sommets, jamais en exigeant l’inaccessible.

360 pages * 21 x 15

Propriétaire d’un domaine en montagne, Richard lutte contre des investisseurs véreux et les méfaits du tourisme de masse. Pour survivre, il joint à son activité agricole un gîte sans confort réservé à de hautes personnalités. Liées par un contrat les obligeant à exécuter les tâches quotidiennes, ces célébrités vont découvrir les choses simples de la vie. Parviendront-elles à revenir à l’essentiel malgré leur méconnaissance des lieux et les actions criminelles subies ?

4ème de couverture...

  

            « Honorez toujours ce que la montagne nous donne. Ne l’abandonnez jamais. Surtout, n’oubliez en aucun cas ce qu’elle peut nous reprendre si on ne la respecte pas. »

            Richard n’avait pas oublié ce que son père se plaisait à répéter. Mais les temps avaient changé. Désormais, le dur labeur des gens de la terre était remplacé par une exploitation plus ludique et surtout plus lucrative.

            La montagne avait perdu son âme.

Dans ce contexte bouleversant, s’inspirer de la nature en adaptant la diversité pour survivre peut bousculer les normes. Lorsqu’un projet novateur attire discrètement la venue de puissants individus en quête d’une nouvelle identité, il n’en faut pas plus pour que la rumeur qualifie ces personnes mystérieuses de malhonnêtes.

Et si toute cette agitation n’était due qu’à la volonté d’un rattachement à la terre, aux choses simples et à l’essentiel ?

          Au-delà des crêtes vosgiennes et du tourisme de masse, les protagonistes de cette saga touristique nous emmènent sur des chemins salutaires à la recherche d’un idéal.

          Un saisissant retour aux sources ! 

Extraits...

        .../... cette manne insoupçonnée des anciens modifiait non seulement le paysage et l’habitat mais également les mentalités. Au point que de nombreux autochtones en oubliaient leurs propres origines.

            Conquise par les nouvelles règles du tourisme, la montagne aux crêtes tranquilles avait perdu son âme.

            C’est du moins ce que pensaient Claude et Maurice, célibataires endurcis qui, en dehors des travaux agricoles et de quelques balades en montagne, refusaient toute action touristique. Plus mesuré, Richard restait persuadé qu’allier les deux activités n’était pas incompatible. Mais pour cela, il lui fallait l’aval de ses deux frères.

           — Richard, écoute-nous bien ! Il est hors de question de vendre ! affirmèrent sans plus attendre les deux aînés. Aurais-tu oublié ce que le père nous répétait ?.../...


           .../...  Les anciens accommodaient leurs besoins à leurs conditions de vie sans chercher à copier les valeurs d'autres contrées. Une sagesse qui avait préservé leur identité à laquelle chaque région, aujourd’hui encore, devait sa particularité architecturale et ses traditions locales.

            « Tu appelles ça de la sagesse ? Plutôt de la contrainte oui, ils n'avaient pas le choix !

            — Ils avaient surtout la volonté de ne pas abandonner biens et coutumes au profit d’un opportunisme débridé.

            — C'est du passé tout ça. En ce temps-là, le tourisme n'existait pas ! Et nous, sans le tourisme, on crève.

            — On crèvera aussi avec, si on ne le maîtrise pas ! affirma-t-il avec certitude. Les aménagements souhaités par une clientèle de plus en plus exigeante nous contraignent à incorporer dans nos prestations trop d’atouts qui ne correspondent pas à notre région. ».../...


          .../... Espérant détendre l'atmosphère, il hasarda une comparaison avec un brin d'humour

            « Laissons la tartiflette et son reblochon aux Alpins et vantons nos toffoyes vosgiennes et notre munster, sacré bon sang !

            — C'est là ton seul souci, l’invasion de la tartiflette ? » se moqua-t-on encore.

            Avec plus de gravité, il essaya une fois de plus, de convaincre ses opposants.

            « Mon souci est de rester nous-mêmes. Exploitons les atouts qui sont les nôtres et travaillons nos valeurs. Et surtout, conservons-les !

            — Ah oui ? Et comment ?

            — En raisonnant à long terme. Gardons nos terres et nos maisons au lieu de les vendre.

            — Tu rêves ! On ne peut rien faire contre ces gens qui sont prêts à tout acheter à des prix que personne ici ne peut concurrencer.

            — Si ! On peut ! Pas de vendeurs, pas d'acheteurs ! C'est la seule façon de limiter l'envahissement immobilier. Plutôt que de nous laisser tenter par un pactole immédiat en vendant le patrimoine à des propriétaires fantômes, gardons-le pour le louer. Une rentabilité moins immédiate, mais qui assurerait à long terme un gagne-pain pour les gens du pays.

            — Facile à dire quand ça tombe rôti dans le bec ! .../...



           .../... En réservant leur séjour, les futurs résidents acceptaient, sans en connaître toute la finalité, les conditions particulières d’hébergement auxquelles il était exclu d’échapper. Ici, le superflu n’était pas de mise. L’aisance financière de la clientèle aurait pu inciter Richard à soutirer exagérément de l’argent, mais par loyauté il se refusait à profiter de cette situation. En accord avec cette philosophie, ses tarifs correspondaient à un service rendu et non pas à la richesse de ses clients.

            — Comme je vous l'ai rappelé tout à l'heure, inscrits par vous-même ou par un de vos proches, vous êtes ici de votre plein gré pour un séjour de quatre semaines. Contrairement à ce que vous avez pu imaginer, vous n'êtes pas véritablement en vacances. Vous n'êtes ni à l'hôtel ni au restaurant, encore bien moins au Club Med. Vous n'êtes pas non plus dans une maison de santé, de cure ou de thérapie, mais dans un gîte de montagne dépourvu volontairement des agréments du confort moderne. Il vous incombera de participer aux tâches ménagères et agricoles ainsi qu'à toute autre activité indispensable au bon fonctionnement du gîte. Des choses simples qui devraient vous permettre de retrouver, par des gestes ordinaires, des bases authentiques que vous semblez ignorer ou avoir perdues. Vous disposez chacune et chacun de votre chambre, sans douche, sans WC, sans télévision, Wi-Fi ou téléphone.

            — Comment ça pas de douche ni WC ? interrompit très choquée Gladys Valery. Mais c'est absurde.

            — Totalement ! Et il me faut un téléphone, moi ! vociféra Duperron.

            — Un seul téléphone est admis, le fixe, dans le bureau. Il est privé et ne peut être utilisé qu’en cas d’urgence absolue.

            — Ah vous avez tout de même un bureau dans votre boui-boui ! appuya Nathalie Carlecas.

            — C'est insensé, clama le banquier Granier-Ribert. C'est une plaisanterie ?

            — Pas du tout, continua calmement Richard. Le fait de ne pas avoir signé vous-même votre contrat ne vous empêchait pas de le lire. C’est regrettable, car vous sauriez que les toilettes, sèches et mixtes, se trouvent à l'extérieur, à l'abri, bien évidemment, des regards indiscrets et des intempéries, tout comme les douches qui vous procureront, je vous rassure, de l'eau à température suffisante. Pour les plus courageux, l'eau froide de la fontaine fait très bien l'affaire. Les lessives se font à la main à la buanderie. En lisant votre engagement, vous auriez également appris que le lever se fait tous les jours à sept heures. Que les repas se prennent en commun, par beau temps sur cette table en extérieur et sur ces bancs de bois lustrés…/...



           .../...  Comme la veille au soir, les huit pensionnaires éprouvaient un sentiment de malaise qui imposait le silence. Quelques borborygmes trahissaient des transits perturbés, des “slurps” discrets aspiraient les boissons chaudes pendant que d'autres bouches se limitaient à faire craquer timidement sous la dent la croûte dorée du pain encore tiède. La vieille pendule de Célestine martelait l’atmosphère et semblait prolonger le temps. Les regards fuyaient des uns aux autres, fixaient l'aller et le retour d’un couteau raclant la motte de beurre, cherchaient désespérément une viennoiserie ou autre gourmandise absente, s'amusaient de voir le trop de marmelade s'échapper d'une tranche de pain à la mie alvéolée, se détournaient pour fuir un vis-à-vis trop intrusif.

            Pour la vingtième fois depuis le lever du jour, le coq entouré de sa gloussante cour préoccupée à becqueter le moindre vermisseau manifesta son ardeur.

            « Il est encore là, celui-là ! maudit Gladys Valery. Depuis quatre heures qu'il clame son arrogance.

            — Cinq !

            — Cinq quoi ?

            — Cinq heures ! Le coq, il chante lorsque le jour se lève. Et début juin, le jour se lève à cinq heures. Donc le coq n'a pas chanté à quatre heures ! » s'exaspéra Duperron.

            La bouche en cul de poule, Gladys exprima un soupir dédaigneux. Le silence réinvestit l'espace. Dans ce calme oppressant, Nathalie Carlecas crut bon d'intervenir.

            « La confiture de cassis est excellente.

            — C'est de la mûre ! rectifia encore le P.-D.G.

            — Ah bon !

            — C'est de la mûre ! » confirma calmement Aurore.

           « Mûre ou cassis, mais qu'est-ce que je m'en fiche ! » pensa le banquier qui, pour ce premier jour, avait cru bon d'exposer son élégance en revêtant un costume en cachemire. Il se leva, croyant naïvement pouvoir dénicher sur un coin de meuble le journal du jour relatant les taux de la bourse  .../...



            .../... La violence verbale lancée la veille par l’industriel ne freina pas l’envie de dialoguer.

            « Vous semblez à l’aise avec cet outil.

            — Vieux souvenirs de famille ! Vous n’êtes pas manchot non plus, monsieur le ministre !

            — Oublions le ministre, voulez-vous !

            — Plutôt étonnant pour un homme de votre rang de manier la fourche.

            — Je me suis familiarisé avec cet outil auprès de mes chevaux. En les côtoyant, ils m’ont enseigné beaucoup plus que certains humains, sans jamais me décevoir, eux !

            — Ouh là là ! Ça sent l’amertume à plein nez.

            — L’humilité !

            — L’humilité, rien que ça ? Ce n’est pas ce que vous avez laissé paraître lors de votre passage au ministère !

            — Ne me dites pas que vous vous êtes laissé influencer par les ragots médiatiques et les enquêtes politico-judiciaires montées de toutes pièces pour me dézinguer ! Pas vous ! Un homme de votre trempe me paraissait être moins naïf.

            — Qui est le plus naïf ? Vous n’avez même pas su renifler le piège qui vous était tendu. Si vos adversaires vous ont glissé des peaux de bananes, vos prétendus amis n’ont pas freiné votre chute.

            — C’est vrai ! Je ne m’en suis aperçu qu’une fois le nez au sol. Sali, piétiné, humilié, seuls mes chevaux m’ont épargné. C’est grâce à eux si je suis encore debout.

            — Alors pourquoi êtes-vous ici ? Votre relation avec ces charmants animaux ne vous suffit-elle pas ?

            — Toute l’affection que me procurent mes chevaux ne parvient pas à me redonner la confiance envers mes semblables et envers moi-même. Immergé dans les flots glauques de la politique, congratulé par les plus hautes instances de la République, ovationné au cours d’invraisemblables meetings, tous ces rapports humains dans lesquels j’avais mis toute mon énergie, toute ma foi au service de mon pays m’ont aveuglé. Je n’ai pas vu toute cette mascarade qui m’a entraîné à commettre des erreurs que je paie très cher aujourd’hui. Les convictions qui me poussaient hier à œuvrer pour une société plus juste ont disparu pour laisser désormais la place à une terrible méfiance du genre humain. C’est pourquoi il m’a semblé qu’un séjour dans un endroit comme Belmont m’aiderait à me reconstruire. C’est la raison pour laquelle je suis ici.

            — C’est une dépression que vous nous faites là, mon vieux !

            — En quelque sorte ! Et vous, ne me dites pas que vous êtes là uniquement pour respirer l’air des Vosges ?

            — C’est juste ! Mais mes raisons sont différentes des vôtres. Contrairement à vous, le comportement humain m’importe peu. Ce qui m’est essentiel est d’atteindre le but fixé.

            — Ce qui reviendrait à dire que, pour aboutir, vous êtes prêt à tout sacrifier, y compris l’être humain ?

            — Pas l’être humain, mais ce qu’il représente parfois, oui. Quarante années vécues dans le monde des affaires m’ont conduit à rester insensible aux agissements nauséabonds dans lesquels moi-même, je l’avoue, je me suis parfois égaré. Hélas, le maintien du pouvoir est à ce prix, qu’il soit industriel, politique ou financier, et même religieux. L’auriez-vous oublié ?

            — Évidemment non. C’est à cause de cela que j’ai mordu la poussière. Je ne vous pose pas la question, mais il me plaît à supposer que vous êtes ici pour vous guérir d’une autre poussière plus personnelle, automutilante peut-être, au goût plus intime, qui vous ronge malgré votre volonté d’en ignorer les effets.

            — Bingo ! Chassez le naturel, il revient au galop. Un demi-siècle pour grimper en haut de la pyramide, un jour pour en redécouvrir les bases, et maintenant quatre semaines pour apprendre à ne plus les oublier. Vous avez raison, Destali, je suis là pour me guérir d’une poussière, la mienne. Accumulée par mon ambition elle a détruit ma famille et failli me tuer.

            — À quelques détails près, nous en sommes au même point.

            — Oui, les deux pieds dans la merde et pas mécontents de la vider ! » conclut André Duperron en piquant son outil sur le haut du tombereau plein à ras bords .../..